Femmes de sciences à l’Institut Maurice-Lamontagne
L’Institut Maurice-Lamontagne (IML) est le seul centre francophone de Pêches et Océans Canada. Il se trouve à Mont-Joli, tout près du parc de la rivière Mitis. On y mène entre autres des recherches sur la qualité de l’eau et sur l’impact des changements climatiques sur les animaux marins. De nombreuses femmes font partie des scientifiques qui se questionnent sur ces enjeux. Voici le portrait de deux d’entre elles.
Arianne Savoie, biologiste en protection et conservation marine
Arianne est une femme d’action. On le sent dans son énergie. Elle est allumée et sait ce qu’elle veut. Ses nombreux intérêts nourrissent sa curiosité et sa soif d’aventures.
Parcours scolaire
Son intérêt pour les sciences vient de sa curiosité pour le vivant. Elle a toujours aimé les animaux. Jeune, elle pêchait la grenouille, observait les têtards et cueillait des champignons. Sa mère a été un modèle : elle est devenue médecin alors que tous dans son entourage lui disaient qu’elle ne pourrait être qu’une infirmière. Elle a été la seule femme de sa cohorte à obtenir un diplôme en médecine.
Arianne a complété un baccalauréat en écologie à l’Université de Sherbrooke. Elle a suivi le parcours du programme coopératif, dans lequel les étudiants alternent quatre mois de cours et quatre mois de stage. La formule est idéale, selon elle, pour créer des contacts avec des employeurs potentiels et cibler ce qu’on aime.
Elle a poursuivi ses études à la maîtrise en océanographie à l’UQAR. Son mémoire portait sur le loup tacheté, un poisson des profondeurs présent dans le golfe du fleuve Saint-Laurent. Il s’agit d’une espèce en péril. L’objectif du projet était de vérifier comment l’espèce s’adaptait aux changements environnementaux de température et de confirmer l’impact de sa nourriture sur sa physiologie.
Arianne ne s’est pas inscrite au doctorat, car ça l’aurait éloignée de ce qu’elle aime faire. Elle adore le travail de laboratoire et sur le terrain. Les tâches des scientifiques qui poursuivent leurs études sont beaucoup plus administratives. « Je voulais rester les mains dedans », dit Arianne.
Arianne conseille à ceux qui veulent poursuivre des études en sciences de ne pas se limiter et de développer certaines qualités : la rigueur, la curiosité, la débrouillardise. Il faut être prêt à l’imprévu, surtout lors de voyages en mer.
Travail
À l’IML, Arianne a fait partie de plusieurs équipes. Elle a travaillé en sciences sur le loup tacheté pour mesurer les conséquences de l’hypoxie sur les embryons. Pour cela, un certain travail d’ingénierie a dû être fait afin que le montage des stations soit adéquat. Arianne devait trouver des solutions débrouillardes aux défis techniques qui sont arrivés en cours de route. Elle est fière de ces succès.
Arianne a par la suite travaillé à la division des espèces en péril. Arianne et ses collègues devaient cibler les actions prioritaires pour le rétablissement des espèces menacées en eau douce ou salée.
Arianne a aussi joué un rôle dans l’équipe de Jaclyn Hill et ses recherches sur le myriophylle à épis. Ces projets visent à mieux comprendre l’impact de cette plante envahissante sur l’habitat du poisson en mesurant des paramètres physico-chimiques tels la turbidité, l’oxygène et la température. Cette espèce envahit entre autres le lac Sandy, situé à la frontière de Mont-Joli et de Saint-Joseph-de-Lepage. Pour expliquer les stations et vulgariser le travail scientifique, Arianne dessine le lac dans son cahier. « Il ressemble à ça », dit-elle en terminant de tracer son contour, avant d’indiquer le fonctionnement des stations.
Arianne aime son travail. « J’ai des collègues formidables. On peut voir des baleines dans le fleuve depuis le bureau. Il y a du yoga sur place. » C’est facile de rester motivée dans ces conditions. L’absence de routine permet à Arianne de se renouveler chaque jour. Naturellement calme, Arianne travaille bien sous pression. Le yoga l’aide à se recentrer, de même que les sorties en nature.
Certaines branches des sciences sont de plus en plus dominées par les femmes, comme l’océanographie. La binarité de genre est encore très présente dans notre société. Certains domaines moins conformes, telle l’ingénierie, restent malheureusement majoritairement masculins. La parité passe, selon Arianne, par un assouplissement de cette polarisation homme/femme.
Les voyages en mer créent des souvenirs cocasses. Dans un de ces voyages, toutes les activités ont cessé à cause d’une tempête. Tous sur le navire ont eu le mal de mer. Certains étaient encore malades une fois le calme revenu. Une belle entraide a vu le jour. Lorsqu’un navire de Pêches et Océans Canada quitte le port, ce n’est pas qu’une seule équipe qui part. À bord, il y a des matelots, des étudiants à la maîtrise, des chercheurs qui travaillent sur différents sujets. C’est un mélange humain très riche.
Loisirs
Arianne passe beaucoup de temps à explorer La Miti. Elle y habite. La montagne Saint-Pierre reçoit souvent sa visite pour faire du ski hors-piste. Il s’agit d’un coup de cœur pour elle. Elle aime la plage de Métis-sur-Mer. Elle fait du canoë sur la rivière Mitis. « Il y a beaucoup de grands espaces dans La Mitis. » Il faut en profiter! Elle joue aussi au hockey dans une équipe féminine à Mont-Joli, les Hockey Moms. En plus de tout cela, elle joue du piano.
Rorqual à bosses, crédit photo: Ève Rioux
Ève Rioux, chercheuse postdoctorale en mammifères marins
Ève vient de Rimouski et a grandi dans le Bas-Saint-Laurent. Elle parle de son métier avec enthousiasme. Elle a déjà animé des activités d’initiation aux sciences avec des jeunes de la région. Elle est passionnée par ce qu’elle fait. Cela se voit au pétillement dans ses yeux et à sa façon de partager son quotidien.
Parcours scolaire
Ève a passé sa jeunesse au Rocher Blanc à se faire des bains d’argile et à chercher des crevettes dans l’eau. Lorsqu’elle avait sept ou huit ans, un bébé béluga s’est échoué sur la plage. L’IML a été dépêché sur place avec des spécialistes de la faculté vétérinaire de Saint-Hyacinthe. Sa curiosité a été piquée.
Elle a complété son baccalauréat en biologie marine à l’UQAR et y a aussi fait sa maîtrise en océanographie sous la direction de Véronique Lesage (IML) et d’Émilien Pelletier (ISMER). Son mémoire portait sur les différentes populations de bélugas dans l’Arctique et sur comment les distinguer. Deux populations habitent la baie d’Hudson et se retrouvent l’été. Cependant, l’une d’entre elles est en danger. La collaboration avec les Autochtones locaux était nécessaire pour obtenir des échantillons et pour accéder à leur territoire. Le projet s’étendait de la baie James à Iglooik au Nunavut.
L’un de ses plus beaux souvenirs lui vient d’ailleurs de sa maîtrise. Elle a passé plusieurs semaines sur une île dans la baie James sans eau courante ni électricité. « Tu te laves pas vraiment les cheveux pendant ces huit semaines-là, et c’est correct. Il faut marcher avec des seaux pour aller chercher ton eau. Tu fais ton lavage à la main. » Des habitants de deux communautés à proximité d’Eastmain les ont assistés dans les recherches. « Ils nous ont fait leur bannik. Ils nous ont cuisiné de la bernache. » La collaboration avec les Innus et les Cris de la région lui a fait vivre une réelle immersion culturelle.
Ève a par la suite réalisé son doctorat sur les caribous de la Gaspésie. Elle a étudié la relation entre l’alimentation, la gestation, la condition physique des animaux et leur taux de survie. Ève est fière d’avoir persévéré, d’avoir réalisé son rêve. Travailler à la conservation et à la protection de l’écosystème la motive énormément.
Travail
Ève complète maintenant son postdoctorat comme jeune chercheuse à l’IML. Elle se concentre sur l’évolution de la communauté dans l’estuaire et dans le golfe du Saint-Laurent. Pour cela, elle et son équipe analysent des échantillons prélevés depuis 1990. Est-ce que les poissons ont le même habitat? Est-ce que les animaux ont la même alimentation? Comment les changements climatiques et les perturbations humaines ont-ils influencé invertébrés, poissons et mammifères marins? Voilà des questions auxquelles ils tentent de répondre.
Ève manipule des outils variés allant de l’arbalète aux émetteurs satellites. Ces derniers permettent aux chercheurs de suivre le déplacement des baleines et de connaître leur profil de plongée. Les arbalètes quant à elles servent à recueillir des échantillons afin de faire des biopsies. Lorsqu’elle est en mer, Ève utilise des jumelles et un appareil photo pour observer les mammifères marins. Certains individus peuvent être reconnus grâce à leurs cicatrices ou à la coloration de leur peau.
Pour gérer le stress des délais serrés ou les rétroactions à la suite du partage d’un article, il est primordial d’apprendre à lâcher prise. Des cours de yoga sont donnés sur l’heure du midi à l’IML. Ève en profite! L’IML abrite aussi une salle d’entraînement que les employés peuvent utiliser.
Selon Ève, la principale différence entre les hommes et les femmes dans le domaine est l’équilibre entre la vie parentale et la carrière. Ève a fait une pause de deux ans pendant son doctorat pour s’occuper de ses jeunes enfants. Les congés parentaux peuvent occasionner un certain retard dans la carrière des femmes, même si leur partenaire est présent et impliqué dans la vie familiale. Par contre, Ève est heureuse des choix qu’elle a faits. « C’est beau être une femme en science! On a une sensibilité, une vision de la recherche et une gestion des ressources humaines qui diffèrent de celles des hommes. » Il y a de plus en plus de modèles féminins auxquels les jeunes filles peuvent s’associer.
Loisirs
Ève fait de la planche à neige avec sa famille. On peut la voir au Mont-Comi les fins de semaine. Elle aime aussi visiter la plage de Sainte-Flavie et prendre le temps d’observer le fleuve à Grand-Métis. Ève a aussi découvert la beauté de la pourvoirie du lac Métis en y faisant des recherches.
Rorqual bleu, crédit photo: Ève Rioux
L’Institut Maurice-Lamontagne, un centre de recherche francophone
La science se fait majoritairement dans la langue de Shakespeare. Pour être publiés, les chercheurs doivent écrire en anglais. L’Institut Maurice-Lamontagne collabore avec les autres centres de recherche des Maritimes et de la Colombie-Britannique, des provinces anglophones. L’IML revêt donc une importance particulière, car c’est l’unique centre de recherche francophone de Pêches et Océans Canada au pays. Il est nécessaire d’avoir un institut francophone selon Ève. « C’est beaucoup plus facile de partager entre collègues, d’avoir une sensibilité au niveau des mots qu’on utilise. Quand on fait de la recherche, on veut aussi partager avec les citoyens et le grand public. »
Pour aller plus loin
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Devenir bénévole pour le Réseau québécois d’urgence pour les mammifères marins (RQUMM)
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Contacter le RQUMM au 1877-722-5346 si vous voyez un mammifère marin mort ou en détresse
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Participer aux corvées locales de nettoyage des plages
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Visiter l’IML en famille ou entre amis en participant à une visite guidée
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Écouter le Balad’eau de Lyne Morissette pour en apprendre davantage sur les océans, la recherche scientifique québécoise et et la conservation du milieu marin
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Encourager ses enfants (ou ceux des autres!) à suivre l’exemple de Stella Bowles : elle a réussi à impliquer les trois paliers du gouvernement pour assainir la rivière LaHave en Nouvelle-Écosse (un investissement de 15,7 millions de dollars) grâce à un projet réalisé quand elle avait 11 ans.
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S’informer sur les enjeux actuels en regardant des documentaires (le canal Explora, les émissions La semaine verte ou Découverte, la série Planète Terre, etc.)
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Laver ses embarcations entre deux utilisations dans des plans d’eau différents
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S’impliquer dans sa municipalité ou dans sa MRC (participer à la table jeunesse de La Mitis, par exemple)
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Visionner en famille le film québécois Katak, le brave béluga qui contient un certain bagage scientifique (sortie prévue pour la relâche 2023)
Merci à Arianne Savoie et à Ève Rioux pour les photos.